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10 janvier 2016
Alain Lipietz

Procès PS-PCF contre N. Gandais et A. Lipietz : l’audience

Le 20 novembre dernier a eu lieu l’audience du procès intenté par des élus sortants du PCF et du PS de Villejuif (et quelques autres militants) contre Natalie Gandais et moi-même, à qui ils demandent 472 000 euros de « réparations".

Le verdict sera rendu le 19 janvier. Nous ne pensions pas correct d’intervenir sur nos sites entre l’audience et le verdict, mais nous nous sommes rendus compte que le PS l’a fait. Après consultation de notre avocat, Me Henri Leclerc, président honoraire de la Ligue des Droits de l’Homme, je me résouds donc à donner mon compte rendu, évidemment subjectif, de cette longue audience.

L’enjeu du procès

Rappelons d’abord l’affaire. (Pour en savoir plus, c’est ici.). Nous sommes attaqués sur deux points.

• Natalie Gandais : pour avoir écrit sur le site de l’Avenir à Villejuif, le 30 avril 2014, soit un mois après sa désignation comme maire-adjointe au logement et à la suite d’un incident dans un HLM de Villejuif (où des dealeurs persécutaient une jeune mère) : « Je sais déjà que la police est découragée parce que l’ancienne équipe courrait systématiquement faire sortir les délinquants arrêtés, en particulier les trafiquants. »

• Moi-même : pour avoir attaché, à un billet du présent site dénonçant la tentative d’exclusion du groupe EELV de Villejuif par la direction nationale d’alors, le « mémoire en défense » que nous avions adressé au Conseil statutaire de notre parti (comme on sait, nous n’avons finalement pas été exclus). Or ce mémoire contenait la phrase suivante : « En 2013, à Villejuif, le PCF au pouvoir depuis 88 ans, (…) a dégénéré en association affairiste, largement discréditée par (…) son organisation systématique du détournement de fonds publics, son lien (remontant aux années 1970) avec le banditisme local investi dans le trafic de stupéfiants et, selon la rumeur publique (…), dans des trafics encore plus criminels. »

Selon Me Leclerc, nous n’avons pas à faire ni le procès des compromis entre une municipalité et certains délinquants pour « obtenir la paix sociale » (beaucoup de municipalités le font, mais ce n’est pas le sujet de ce procès en diffamation), ni celui des détournement de fonds, et surtout pas en exhibant des preuves obtenues APRES la formulation de ces phrases (Me Leclerc conteste cette jurisprudence, mais nous avons choisi de ne pas passer outre.)

Pour l’ex-président de la Ligue des Droits de l’Homme, les plaignants attaquent une liberté fondamentale reconnue aux hommes et femmes se présentant au vote de leurs concitoyens, une liberté à la base de la démocratie : exprimer ce que pensent la partie des électeurs qui votent pour eux.

Il nous faut donc montrer que nous ne faisions qu’écrire noir sur blanc une opinion suffisamment répandue pour justifier le choix des électeurs (qui ont rejeté en masse l’équipe sortante en 2014). Évidemment, cela ne doit pas servir à populariser n’importe quel bobard, il faut aussi avoir des indices sérieux que « l’opinion publique » a suffisamment de raison de penser que c’est vrai… pour se choisir de nouveaux élus.

Et il est clair que l’énormité de la somme demandée n’a qu’un but (outre le bénéfice non négligeable que les plaignants pourraient en tirer) : nous obliger à vendre nos biens et notre logement. Bref, il s’agit pour eux de faire déguerpir de Villejuif des concurrents gênants. Arme d’intimidation qui rendrait impossible le débat démocratique.

L’affaire est donc assez importante du point de vue des Droits de l’Homme.

Enfin, nous ne sommes pas parvenus à comprendre en quoi les socialistes pouvaient se sentir attaqués par ces textes, et nous décidons de déclarer leur plainte sans objet.

Nos témoins

Tout ceci limitait sérieusement la documentation que nous pouvions (et nous devions) apporter : pas d’ « offre de preuve » postérieure à nos textes.

Nous avons choisi de solliciter un nombre restreint de témoins (qui n’ont pas tous pu venir, mais alors ont envoyé des lettres), de diverses orientations politiques, suffisamment « anciens » dans Villejuif pour en avoir conservé la mémoire, tels que :
- Catherine Casel, qui était sur une autre liste que la notre, ancienne conseillère municipale d’opposition,
- Jeanine Rollin, elle aussi ancienne conseillère municipale, qui avait pourtant appelé au second tour à voter pour la liste sortante de Mme Cordillot, mais en connaissait bien les travers ;
- Monique Lambert Dauvergne, qui avait quitté le PS il y a quelques années pour nous rejoindre.
- Nicole Delmas, l’une des plus anciennes militante associative « tous terrains » de Villejuif.

Que des femmes ? Oui, Monique nous en avait averti dès le premier jour : « On va compter les couilles ! »

Si ! Un homme quand même : le maire Franck le Bohellec a écrit une lettre confirmant qu’il devait bien sa victoire à cette même opinion publique villejuifoise, et sur la base des mêmes accusations, et confirmant les assertions de Natalie par ses propres conversations avec le commissaire du Kremlin Bicêtre.

Quant aux documents (faute de pouvoir utiliser ceux que nous avons glanés après nos publications incriminés, et qui les illustraient), nous nous étions contenté de ce qui avait « l’autorité de la chose jugée avant les élections » : les déclarations du procureur et de l’avocat-même de dealers de Lamartine à leur procès, sur la complaisance coupable de la municipalité à leur égard, et le rapport au vitriol de la Chambre régional des comptes sur la Sadev (alors présidée par un communiste villejuifois).

Le débat

Nous sommes d’abord interrogés, l’une et l’autre, sur notre défense face aux accusations. J’ai préparé un long texte aide-mémoire où piocher mes arguments. La présidente du tribunal, qui fait montre d’une extrême intelligence du dossier, me laisse l’occasion de « placer quelques paragraphes », mais pousse l’interrogatoire sur des terrains parfois inattendus et très intéressants.

Par exemple, à propos du rapport de la Chambre régionale des comptes sur la Sadev, elle me demande sévèrement… pourquoi nous n’avons pas fait jouer l’article 40 du code de procédure pénale, qui fait obligation, à tout fonctionnaire ou élu ayant connaissance d’un délit, de saisir sans délai le procureur. Je réponds qu’à l’époque de la publication de ce rapport nous n’étions ni l’un ni l’autre élu ou fonctionnaire « dans l’exercice de leur fonction », et que ce n’était pas à nous de saisir le procureur. D’ailleurs, le président communiste villejuifois de la Sadev vient d’être condamné au pénal pour l’un des faits épinglés dans le rapport, ce qui indique que quelqu’un a fait son boulot.

Mais l’avertissement de la représentante de la Justice est clair : un-e élu-e n’a le droit de rien laisser passer. Nous saurons nous en souvenir à l’occasion.

On fait entrer les témoins. Seule Monique Lambert Dauvergne a pu se déplacer pour nous, mais la juge lit les lettres des autres (qui se feront engueuler les jours suivants, dans Villejuif, par les partisans des plaignants ! ) Les plaignants PCF ont fait citer deux témoins. Un vieux monsieur commence par sortir ses médailles de la dernière guerre, rappelle le Parti des Fusillés, etc. L’autre est le charmant et intègre Claude Billard, qui avait brièvement succédé à G. Marchais comme député de la circonscription (1997-202), mais qu’on a plus revu depuis longtemps : il a pris sa retraite ailleurs. Bien sûr, il n’a rien vu de ce que nous évoquons.

La présidente appelle les plaignants. C’est M. Girard qui parle pour les socialistes. Avec emphase il évoque son fils qui revient de l’école en demandant si c’est vrai ce que nous avons raconté sur le net, que son Papa est lié au banditisme etc. La tactique des avocats des socialistes et des communistes est en effet de monter un amalgame de tous les paragraphes où nous parlons en terme vague de « l’équipe sortante ». Or il en faisait partie, et donc nous l’accusons, lui, d’être lié aux trafiquants de drogue, lesquels sont liés à des trafics encore plus criminels, donc lui est lié à des trafics criminels etc...

Nous écoutons avec scepticisme. Mais nous avons déclaré que rien ne permet dans nos textes d’y reconnaitre des membres du PS, que nous ne pensions même pas à eux, et ne lui répondrons pas.

Pourtant ça me démange. J’ai été jadis victime d’un « lynchage médiatique », et je faisais chaque jour des déclarations dans les médias pour démentir, je sais ce que c’est… Or là : il s’agit d’un document attaché à un site quasiment interne (celui que vous lisez…) qui reçoit une moyenne de 20 visites par jour, et l’article incriminé n’a été lu que par une centaine de personnes le premier jour (essentiellement à partir d’autres listes internet EELV, intéressées par notre « procès interne » en exclusion), bien moins les deux jours suivant , puis une visite de temps en temps.

Mais le plus drôle, ce sont les dates : l’article incriminé est du 5 mai, or le PS et le PCF ne porteront plainte que le 28 juillet, pour des raisons déjà expliquées : leur tentative de faire invalider l’élection a échoué. Un peu bizarre pour des gens qui veulent répondre à l’inquiétude de leurs enfants ! J’aurais fait un référé d’heure en heure dès le 5 mai…

Je reconnais que j’ai fait une erreur, en attachant ma plaidoirie devant le Conseil statutaire de EELV sur ce site. Ce site a essentiellement une fonction de débat interne aux Verts, et d’archivage de nos textes. Quand nous nous adressons au public villejuifois, nous passons par le site L’Avenir à Villejuif ( 350 visites par jour), et quand j’ai quelque chose à dire en tant que personne publique, j’ai mon site (2000 visites par jour).

J’assume pleinement ce qu’ai écrit au Conseil statutaire, mais si j’avais écrit un texte public je l’aurais davantage développé. La présidente me fait observer avec raison que, dès lors que ce site-ci n’est pas « fermé », même s’il est confidentiel, il est public et donc relève de la loi sur la presse.

Plus intéressante est la déposition de Mme Cordillot. Elle évoque plusieurs menaces d’agressions dont elle a été victime de la part des dealers. La présidente nous demande si nous étions au courant. Nous répondons que non.

En fait, nous connaissions ce qui était public, tel que l’incendie de la pelouse artificielle du stade de Lamartine, peu avant notre élection. Nous avons appris, après notre élection, le fin mot de l’affaire, d’où venait le « message » et ce qu’il voulait dire. Mais nous nous doutions un peu que les rapports entre les caïds et la municipalité sortante étaient fait autant de menaces et d’intimidations que de compromis. La nouvelle équipe est elle-même en permanence l’objet de ces intimidations : voitures incendiées, tentatives d’incendies des écoles, même de la mairie… Mais encore une fois, la façon d’y répondre (céder pour « avoir la paix », ou non) n’est pas l’objet du débat.

Sur ce point, la présidente insiste pourtant. Dans tous les débats et témoignages, il apparaît clair que la personne de l’équipe sortante qui traine la réputation la plus sulfureuse de contacts avec la délinquance… n’a pas porté plainte contre nous ! La présidente nous demande pourtant de la nommer. Avant le procès, Me Leclerc nous avait dissuader d’incriminer nominalement un non-plaignant, ce qui risquerait d’ouvrir un nouveau procès, et nous nous y tenons rigoureusement, mais la présidente insiste. Me Leclerc demande une suspension de séance pour en discuter. Nous refusons fermement de sortir de notre ligne initiale : compte tenu de l’atmosphère de violence qui règne dans la ville (la mairie vient d’être incendiée), nous ne voulons pas remettre de l’huile sur le feu.

Les plaidoiries

Comme je l’ai dit plus haut, la plaidoirie des avocats de la partie civile est entièrement axée sur la défense de son point faible : prouver qu’en critiquant la politique de l’ancienne équipe municipale, nous les accusions personnellement d’être liés à des trafics « encore plus criminels ». Ils jonglent avec les paragraphes de nos deux textes, pour arriver à une démonstration tirée par les cheveux. Un peu comiquement, ils laissent entendre (comme d’ailleurs dans leurs conclusions écrites) qu’on avait le droit d’utiliser un pareil langage avant l’élection (ils connaissent bien la jurisprudence !) mais pas un mois après.

Puis, étrange réquisitoire de la procureuse qui va jusqu’à nous reprocher d’avoir fait une alliance électorale « avec la droite », mais relève une erreur juridique (que nous n’avions pas remarquée, et que j’ai d’ailleurs oubliée ! ) dans les mémoires des plaignants.

Me Leclerc officie enfin, au grand plaisir de tous, y compris des avocats de la partie civile qui viendront le féliciter à la sortie : c’est une vedette, et nous sommes fiers d’avoir été défendus par un tel homme. Je l’avais sollicité parce que c’est l’un de mes « pères spirituels » en politique, c’est de lui que j’ai appris une certaine conception de la justice, de l’éthique du combat politique, des droits de l’Homme. Je savais aussi qu’il était « bon », mais à ce point là !

D’une voix très douce il rappelle quelques principes du droit de la diffamation : il faudrait d’abord que les plaignants puissent montrer qu’ils sont personnellement mis en cause, or rien ne l’indique. Il s’agit tout simplement de la critique d’une ligne, d’un comportement, du système entretenu par une liste ou une équipe municipale concurrente. C’est un débat politique, et nous ne faisons qu’exercer notre droit à la critique politique.

Sur cette liste, dans cette équipe, tel ou tel sont plus ou moins responsables de méfaits dont on accuse ce système, ou totalement innocents, mais il s’agit d’un débat politique devant des citoyens. Dans ce débat, le droit à l’approximation, au raccourci, est naturel dès l’instant que la critique se fonde sur un consensus largement partagé de l’opinion publique (et 70 % des Villejuifois ont voté contre la liste sortante) étayé par quelques faits avérés (il rappelle le procès de Lamartine et le rapport sur la Sadev).

Avec une extrême finesse psychologique, il prend ensuite notre défense « personnelle ». Il décrit d’abord la situation de Natalie Gandais quand elle écrit le texte incriminé : sa volonté de rendre compte aux électeurs de ses premiers pas d’élue, sa conversation avec le commandant de police du Kremlin, qui lui conseille d’abord de faire déménager la jeune mère menacée, sa fermeté pour signifier à ce policier que la municipalité a changé de politique, et que c’est aux agresseurs de quitter les lieux …

(Pour la petite histoire : la police a effectivement enregistré ce changement de politique municipale, et un lieutenant de police est allé engueuler les agresseurs… qui sont allés s’excuser auprès de la jeune mère menacée ! Comme quoi, la jeunesse délinquante a besoin d’un « tiers » officiel pour leur rappeler la loi, et non de complaisance.)

Puis il en vient à mon propre texte : un texte de plaidoyer, ardent, devant d’autres « juges » (le Conseil statutaire de mon parti), où je dois résumer en quelques lignes pourquoi je ne pouvais pas faire alliance avec l’équipe sortante, avant de consacrer des pages entières aux aspects statutaires. Un texte qui n’était pas destiné à être lu en dehors du cercle des militants de mon parti, et que les plaignants n’ont pas jugé bon de me demander de l’occulter, s’il les blessait à un prix de 430 000 euros…

Et il conclut en demandant l’acquittement.

Natalie Gandais est déjà dans la préparation mentale du conseil municipal, qui commence dans quelques dizaines de minutes, et où elle doit présenter des rapports importants. L’audience dure depuis 7 heures et demi, et tout le public villejuifois est déjà parti rejoindre le Conseil. Elle me laisse faire le mot de la fin des accusés.

Je ne peux que compléter la plaidoirie impeccable de notre avocat, en soulignant quelques détails « locaux » qu’il connaît moins. Par exemple, pour appuyer le fait que la critique politique dirigée contre une « équipe » ne peut pas être assimilée à une diffamation pénale contre tel ou tel ou tel membre de cette équipe, je n’ai qu’à rappeler le fait que des membres de cette équipe sortante ou de la liste qui souhaitait la prolonger… n’ont pas porté plainte contre notre texte, soit qu’ils se sentaient non-concernés, soit qu’ils étaient d’accord avec nos propos ! L’un des membres de « l’équipe sortante » était même passé candidat sur notre liste, déçu par les méthodes qu’il avait connues et que nous n’avons fait que relater.

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