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9 février 2013
Alain Lipietz

La mairie de Villejuif viole-t-elle la laïcité ?

Cette note est consacrée à la discussion de l’affirmation de M. Lebris, premier adjoint, selon laquelle l’achat de l’ancienne gendarmerie de Villejuif pour construire sur son terrain une seconde mosquée ne couterait rien à la ville. Les Verts-Villejuif Autrement n’ont aucune objection à ce qu’une association cultuelle construise à son compte une seconde mosquée. Ils ont plusieurs critiques à formuler sur le choix de ce terrain et sur l’opportunité pour la Ville de s’endetter actuellement en faveur d’une mosquée. Encore faut-il savoir combien cela va coûter aux Villejuifois.

Pendant une dizaine d’année, la Mairie de Villejuif (M. Cosnier puis Mme Cordillot) a empêché l’association Rachad, qui possédait le terrain avenue Youri Gagarine, d’y construire à ses frais une mosquée. La mairie exigeait que « toutes » les associations de musulmans de Villejuif se rassemblent en une seule association, ce que refusait Rachad. Cette attitude constituait clairement une immixtion de l’autorité publique dans les affaires d’une religion particulière. Le viol de la loi de 1905, article 18, était alors patent : les associations cultuelles relèvent de la loi sur la liberté d’association de 1901 (plus précisément art. 5 et 6), elles s’organisent comme elles l’entendent sans avoir à demander l’autorisation de la mairie, ni du préfet.

Rachad, à l’issue d’un « chemin de croix » administratif, où même la hauteur de plafond lui fut chipoté, arracha finalement son permis de construire.

Mais la Mairie décida d’aider à tout prix les autres associations, rassemblées en Association des Musulmans de Villejuif, elle même rattachée à l’Association des Musulmans du Val de Bièvre (AMVB), à construire une seconde mosquée. En en lui dictant toutefois ses conditions : l’AMVB n’aurait pas pas de propriété du terrain, mais un bail sur un terrain qui resterait propriété de la Ville. Ce qui était condamner la ville à s’endetter pour acheter le terrain et louer ensuite ce terrain à l’association cultuelle selon un « bail emphytéotique administratif » de 99 ans, l’association cultuelle (l’AMVB) ne pouvant racheter le terrain qu’au bout de 18 ans.

Cet engagement s’est concrétisé au Conseil municipal de Janvier par le vote d’un « protocole » par lequel la Ville achetait au Conseil général l’ancienne gendarmerie, ave. Maxime Gorki, pour concéder ensuite le terrain (après avoir rasé le bâtiment) à l’ASVB.

Soyons clair : comme l’a expliqué aux Ateliers de l’Avenir à Villejuif Me Rouquette, avocat spécialiste de la question, une telle procédure ne serait pas en soi un viol de la loi de 1905, dès lors que la faiblesse du loyer ne constitue pas une subvention déguisée à un culte particulier. Et depuis 2011, le Conseil d’État a admis que mettre un terrain à la disposition d’une association de culte, sous forme de bail emphytéotique, même avec un loyer très faible ou symbolique, est une « dérogation légale à la loi de 1905 ».

Les critiques des Verts-Villejuif Autrement portent d’abord sur le choix du terrain proposé à l’AMVB : l’ancienne gendarmerie, initialement destinée à l’hébergement social, représentant une douzaine de logements familiaux avec salle de réunion. Il nous semble aberrant, en pleine crise du logement et de l’hébergement, de détruire ces logements pour construire une mosquée.

Mais la dimension financière n’est pas à négliger. Avec une dette de 2075 euros par habitant (contre par exemple 1130 à Arcueil), Villejuif est la commune la plus endettée du Val-de-Marne et l’une des plus endettées de France. N’est-il pas un peu fort de s’endetter encore plus, pour acheter un terrain et le louer à une mosquée, même à loyer raisonnable ? Cela revient à s’endetter à la place de l’ASVB, au moment même où le « Pacte de stabilité » (le traité TSCG incorporé dans la loi organique française) interdit aux administrations françaises de s’endetter. Dès lors Villejuif va devoir se désendetter encore plus vite, au détriment d’autres services publics offerts aux habitants.

C’est sur point qu’a eu lieu une discussion courtoise avec M. Lebris, 1er adjoint en charge de l’urbanisme, lors du Conseil municipal du Janvier. Selon le « Protocole d’accord » avec le Conseil général voté ce jour-là, Villejuif achète le bâtiment et le terrain de l’ancienne gendarmerie, en échange de «  entre 10 et 15 logements de type F2 et F3 pour une valeur de 2,1 Millions d’euro », et pour une surace équivalente (850 m2), puis détruit le bâtiment et décontamine le terrain (mettons pour un coût de 400000 euros), puis loue le terrain à l’ASVB, tout cela d’ici avril 2013. Soit un coût total pour la ville de 2,5 millions environ. Le Protocole précise que : «  ces logements sont existants ou à construire dans des programmes de logements conduits par la ville au sein des différentes opérations d’aménagement en cours ou en devenir » et que «  cet échange sans soulte [c’est à dire sans complément en monnaie] devra intervenir au cours du second trimestre 2013 ». Selon M. Lebris, ces 2,5 millions ne coûteront rien à Villejuif. Pourquoi ?

Devant le conseil municipal, M. Lebris a commencé par reconnaître que « nous n’avons pas ces appartements et ils ne sont pas encore sortis de terre ». Mais « nous les prélèverons sur la marge commerciale réalisée par les aménageurs et les promoteurs dans les ZAC dont la Ville organise la mise en valeur ». Dans une conversation amicale à la sortie du conseil, M. Lebris s’est plus précisément réclamé de mes travaux anciens sur Le tribut foncier urbain, récemment actualisés dans un texte synthétique. Il faut reconnaître en effet que de la valeur est crée dans l’aménagement d’un terrain urbain, et l’autorité publique qui organise cette mise valeur peut légitimement réclamer une part de l’accroissement du prix du sol qu’elle a permis grâce à cette opération de rénovation urbaine.

Dit autrement : M. Lebris se fait fort de lever une sorte d’impôt municipal sur la plus-value foncière réalisée dans les ZAC de Villejuif, impôt payé en nature par l’aménageur (la SADEV) ou par les promoteurs, sous la forme d’appartements cédés à la Ville. Souhaitons lui bien du plaisir et de l’habileté dans la négociation, mais en effet, ce sont des choses qui se font !

C’est même le principe de la ZAC : l’aménageur et les promoteurs recèdent à la collectivité une partie de la plus-value foncière résultant de la rénovation urbaine, sous forme d’équipements publics (écoles, crèches, bureau de poste…). Et donc, ici, il y en aurait pour 2,1 millions d’euros, sous la forme d’une douzaine d’appartements, à recéder au Conseil général en échange de la douzaine existant dans le bâtiment de l’ancienne gendarmerie, rasé pour construire une mosquée.

Si donc sa négociation tourne bien, M. Lebris aura extorqué 2,1 millions à la SADEV et aux promoteurs, mais en définitive pour acheter le terrain de la mosquée, la surface disponible pour l’hébergement demeurant inchangée : 850 m2. Or ces 2,1 millions que la SADEV et les promoteurs seraient prêts à rétrocéder à la Ville dans le cadre de la procédure de ZAC, la ville en a effectivement besoin pour construire les écoles, crèches, etc. rendues nécessaires par cette urbanisation. Et comme elle consacre ces 2,1 millions l’achat du terrain pour la mosquée, elle devra donc emprunter pour construire ces écoles, crèches, etc.

Cette valse des appartements et des millions ne peut donc cacher la réalité : la Ville dépensera (et « au cours du second semestre 2013 », c’est dire avant même que ces nouveaux logements sortent de terre, dans des ZAC qui ne sont même pas encore bouclées !) 2,1 millions pour acquérir le terrain de la mosquée, plus dans les 400 000 euros pour la démolition. Et ces 2,5 millions, la Ville ne les a pas, et devra les emprunter. Soit environ 50 euros de dette en plus par habitant (+4 %, environ 400 euros par foyer imposable).

Combien cela va-t-il couter aux contribuables ? Mettons que la Ville rembourse en 20 ans. Selon les simulateurs que l’on trouve sur Internet, cela fera dans les 180 000 euros par an. Tel est donc le loyer qu’il semblerait raisonnable de demander à l’AMVB pour les 20 premières années de location du terrain de sa moquée (et, au delà, un loyer symbolique), si l’on veut que l’opération ne coûte rien au contribuables villejuifois, et donc que l’on reste dans l’esprit de la loi de 1905 : pas de subvention à un culte.

Mais, même dans ce cas, pour 20 ans, on aura transféré le risque financier, de la mosquée sur la Ville. Que se passera-t-il si l’AMVB fait faillite, faute de pouvoir assumer et le loyer du terrain, et le coût de construction de la mosquée ? La Ville restera avec un terrain sur les bras, orné d’une mosquée désaffectée et donc invendable… et devra continuer à rembourser sa dette.

Est ce bien raisonnable ? Même l’AMVB, qui préfère acheter elle-même un terrain, quitte à s’endetter elle-même, ne le pense visiblement pas.

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