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17 mai 2013
Alain Lipietz

Le Plan de déplacements urbains d’Ile de France

Lettre d’observations à l’enquête publique

Encore un plan (à consulter ici) plein de bonnes intentions, qui ne sont guère mises en application à Villejuif.

Voici la lettre d’observations d’Alain Lipietz, qui concerne plus particulièrement les transports en commun et la santé, tandis que celle des Ateliers de l’Avenir traite des déplacements à vélo.

Monsieur le Président
de la commission d’enquête publique
pour la révision du PDUIF

Monsieur le Président,

Je vous écris d’abord en mes qualités d’ancien Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées. À ce titre j’avais participé au calcul du gabarit du système de transports autour du projet de Ville Nouvelle de Saint Quentin en Yvelines, puis j’ai travaillé à l’IRT aujourd’hui IFSTTAR. J’ai été par la suite directeur de recherche au CNRS, élu au Conseil régional Ile de France en 1992 (puis député européen de 1999 à 2009).

Je vous écris également en tant que responsable du groupe Europe-Écologie Les Verts, à Villejuif.

Enfin, je viens de rédiger une longue contribution à l’enquête publique sur la révision du Sdrif, synthèse de nos réflexions, que vous trouverez ici.

Je dois vous dire, Monsieur le Président, que ce PDU me plonge dans la plus grande perplexité. Les premiers chapitres me semblent parfaitement satisfaisants, des études approfondies semblent les avoir nourris, les options fondamentales me paraissent excellentes. Mais en même temps j’ai l’impression qu’il s’agit d’une autre région, dans un monde parallèle, un monde qui aurait pu être mais n’en prend pas le chemin, selon mon expérience locale. Mais commençons par le général.

I. Sur la hiérarchie des normes.

Le PDUIF commence par une remarquable étude juridique sur la hiérarchie des normes. Il démontre de façon serrée que le PDU est subordonné au Sdrif, ce qui est la logique même : un système de transports est au service d’un espace résidentiel et de travail. À Saint Quentin en Yvelines, nous calculions la largeur des routes en fonction des plans masses de la Ville Nouvelle, qui nous permettaient d’anticiper la demande de déplacements.

Or le Sdrif actuel, qui date de 1994, est actuellement en cours de révision. Un autre Sdrif a été arrêté par le Conseil régional en 2008. Mais en 2011, la représentation nationale a voté un Schéma d’infrastructures lourdes pour l’Ile de France : le Grand Paris Express. Le Conseil Régional a donc révisé son texte précipitamment, le GPE ayant valeur de loi, supérieur à un Sdrif dans la hiérarchie des normes. Le nouveau projet de Sdrif a été arrêté en décembre 2012. Encore ce Sdrif se contente-t-il de « pastiller » des zones de densification, sans préciser s’il s’agit principalement d’emplois ou de résidences, ce qui interdit de prévoir les flux de déplacements engendrés. Mais en mars 2013, le Premier ministre a modifié l’échéancier et partiellement le tracé du GPE, considérant sans doute qu’il s’agissait d’un pur acte d’exécutif. Cependant, en Avril-mai 2013, c’est bien le Sdrif arrêté en décembre dernier qui a été soumis à l’enquête publique, à laquelle j’ai répondu il y a quelque jours, au nom de mon groupe et en mon nom. Ce Sdrif sera sans doute amendé en fonction de l’Enquête publique (nous l’espérons, car nous avons demandé des modifications substantielles pour la Ville de Villejuif !), puis adopté dans le dernier trimestre de cette année, au plus tôt.

Et maintenant on nous demande d’évaluer un projet de PDUIF qui doit être « conforme au Sdrif ». Mais LEQUEL, Monsieur le Président ?

2. Sur les transports moyens et doux dans le secteur de Villejuif.

Laissons ce chaos juridique et admettons le principe « Qui paie, décide ». Les infrastructures lourdes réellement existantes dans les 15 ans à venir (les métros et trains) se devinent déjà d’après les déclarations de M. le Premier ministre (échéancier du GPE et du « plan de mobilisation » du Stif). Finalement le PDUIF n’a plus qu’à organiser les déplacements « doux » (vélos et piétons), légers (bus, taxis) et semi-lourds (bus en site propre, voire tramway).

Sur ces points, l’esprit du PDU est excellent, et se résume à des phrases à inscrire en lettre d’or (pourquoi pas en loi ?) : « partage de la voierie principale entre le différents modes de transports », et même plus précisément « partage des axes structurants entre la voiture, le tramway et le T Zen ». Malheureusement, il n’en sera rien, apparemment, du moins à Villejuif.

Je vais ici me concentrer sur cet exemple que je connais : Villejuif. Cette ville, selon le Sdrif-décembre 2012, est appelée à devenir un « pôle régional », couvert par 15 pastilles rouges de « haut potentiel de densification ». Ce qui justifierait cette ambition est l’arrivée de deux gares GPE, à Louis Aragon et à l’Institut Gustave Roussy. Mais soyons plus concrets.

Cette ville est principalement une ville dortoir, les 3 hôpitaux épongeant toutefois une partie de la main d’œuvre locale, « ramassée » par un réseau de bus mis en place il y a quelques années par la communauté d’agglomération, suite à plusieurs campagnes électorales des écologiste locaux. Le gros des déplacements domicile-travail se fait vers Paris (au moins dans une première étape). Il n’existe qu’un seul axe structurant Villejuif-Paris en surface : l’ex-Nationale 7, aujourd’hui RD7, plus quelques petites rues à travers Gentilly vers la Poterne des Peupliers. Et cela ne changera plus. Dores et déjà, le franchissement de la Porte d’Italie aux heures de pointe est un cauchemar. Il n’y a pas d’autre solution à terme que les transports en commun.

Coté transports en commun, il existe une branche de la Ligne M7 (avec un peu moins d’une rame sur deux) qui double la N7 en sous-terrain, terminus Louis Aragon, avec deux autres stations dans Villejuif. Elle est déjà saturée dans le sens Villejuif-Place d’Italie aux heures de pointe du matin. Déjà des Villejuifois prennent le métro en ces deux stations vers le terminus le matin, pour espérer pouvoir, de Louis Aragon, monter dans une rame vers Paris. Cette situation va encore s’aggraver avec l’arrivée, fin 2013, du Tramway T7 venant du Sud (depuis Athis Mons, et ultérieurement depuis Juvisy), arrivée en elle-même excellente chose. Mais tout se passe comme si le T7 était conçu comme un prolongement à plus faible débit de la ligne M7 vers Belle-Épine, Rungis et Orly, sans que celle-ci ait à être renforcée, c’est à dire sans densification supplémentaire de Villejuif et de cette zone de Paris-Sud. Ce qui ne fut pas le cas, et ne le sera résolument pas, selon le Sdrif-Décembre 2012. La situation deviendrait catastrophique si par malheur des nouveaux logements étaient construits sur les pastilles rouges jouxtant la RD7 et la ligne M7. Seuls des lieux de travail, utilisés à contre sens par des travailleurs passant par Paris pour venir travailler à Villejuif, seraient admissibles… A MOINS QUE la liaison Villejuif-Paris ne soit renforcée par un transport en commun au moins semi-lourd, en sus de la « demi-ligne » M7.

D’après la prise de position du Premier ministre, la ligne Ouest-Est (ligne Rouge Sud) d’Issy les Moulineaux à Créteil et au delà sera ouverte vers 2020. Cela soulagera grandement les salariés commutant en bus ou voiture vers Créteil ou Montrouge, et détournera le flux, réel mais minime, de ceux qui, préférant le métro, devaient passer d’abord par Paris, mais il ne faut pas en attendre grand chose pour la désaturation de la Ligne M7.

En revanche, l’ouverture de la ligne Bleue nord-sud, par prolongement de la ligne M14, offrira une seconde liaison Villejuif-Paris à partir de Institut Gustave Roussy, surtout si l’indispensable station « Trois Communes » est confirmée. Mais, selon le discours du Premier ministre, cela ne se produirait pas avant la fin des années 2020, dans 15 ans au mieux.

Pendant ces 15 ans, la seule solution au problème des déplacements Villejuif-Le Kremlin-Bicêtre-Paris est donc un transport en commun en site propre de surface sur l’axe structurant qu’est la RD 7, conformément à la lettre du présent projet de PDU. Au delà de ces 15 ans, il faut rappeler qu’une partie notable de la population (un quart ?) ne supporte pas les souterrains. Raison pour laquelle Paris a dû conserver, avec son métro, un dense réseau de bus. Il faut être réaliste : à moyen terme, il ne faut pas espérer que le tramway T7 se prolonge jusqu’à Paris, il aurait fallu y penser plus tôt.

En revanche, l’enquête publique sur la réfection de la RD7 et sa transformation en boulevard urbain prévoyait bel et bien une ligne de bus en double site propre, et des pistes cyclables. Les pistes cyclables ont été « réalisées » de façon grotesque et inutilisable au Kremlin-Bicêtre (voir la contribution à votre enquête publique des Ateliers de l’Avenir à Villejuif, auxquels je participe), mais , alors que le bus en site propre avait été plébiscité lors de l’enquête publique, le Conseil général l’a réduit à une ligne dans un seul sens pour traverser le Kremlin-Bicêtre le matin (le soir, les salariés n’ont pas besoin d’arriver chez eux à l’heure…). Cette rénovation s’étend actuellement à Villejuif, et il semble bien qu’il n’y ait toujours pas de site propre, sauf peut-être à nouveau un segment sur un seul côté entre Louis Aragon et le bas Villejuif, sans continuité avec le moignon de couloir du Kremlin Bicêtre.

J’ignore si la hiérarchie des normes peut contraindre un Conseil général à respecter les prescriptions réglementaires du projet de PDUIF sous revue, mais il est parfaitement clair que ce qui se dessine sur la RD7 au nord du terminus du tramway T7 (c’est à dire à travers Villejuif et le Kremlin-Bicêtre jusqu’à Paris) n’en respecte aucunement l’esprit. Je vous suggère, Monsieur le Président, de modifier les cartes des chapitres finaux pour y faire inscrire un site propre de surface bidirectionnel prolongeant le Tramway T7 jusqu’à Paris.

3. Sur l’interaction système de transport / santé publique.

C’est avec émotion que j’ai noté les fortes pages consacrées par le projet de PDU à ses effets sur la santé. C’est à ma connaissance la première fois que cela arrive.

Il se trouve que Villejuif est , avec Arcueil, Gentilly, l’Hay les Roses, Fresnes, quasiment un cas d’école, du fait que nos villes sont traversées par le plus large segment autoroutier d’Europe : la A6 a et b, avec ses 12 à 14 voies. Dans la mesure du possible, les Villes « au vent » de ce long serpent pathogène, telle précisément Villejuif, ont eu la prudence de ne pas construire d’habitation à moins de plusieurs centaines de mètres, mais de nombreux propriétaires de pavillons ont déjà pris ce risque, et la prudence des édiles pourrait bien s’évanouir devant les pressions des promoteurs de l’habitat collectif et devant l’injonction de densification, matérialisé par 4 pastilles rouges mordant sur l’autoroute.

C’est donc avec étonnement que je n’ai trouvé aucune « Action » relative à ce « Défi », au chapitre 3. Pourtant la A6 sera de plus en plus clairement un problème majeur de santé publique à Villejuif (Gentilly a obtenu sa couverture partielle après une longue, longue lutte). Mais ce « défi » est commun à de nombreuses villes en Ile de France, et je pense, Monsieur le Président, qu’il est de votre responsabilité d’intervenir fermement pour que ce point fasse l’objet d’ « Actions » répondant à ce « Défi ». Quelles actions ?

D’abord, l’alerte ayant été lancée par des médecins, il serait nécessaire de reprendre leur serment, celui d’Hippocrate : « Ne pas nuire ». Autrement dit, interdire de construire de nouveaux logements le long des autoroutes, par exemple sur une bande de 500 mètres de large.

Ensuite, soigner le mal déjà existant. Comme il serait difficile de reloger les habitants exposés, et hypocrite de promettre la transformation des autoroutes en boulevards urbains quand c’est aujourd’hui que les enfants contractent des cancers et asthmes chroniques du fait de leur exposition, la mesure la plus simple et immédiate est de ralentir les véhicules, par exemple à 60 km/h dans toute l’agglomération, sur les autoroutes et le Boulevard périphérique. La circulation sera plus fluide (le débit maximal sur un réseau routier est obtenu quand les véhicules roulent à 36 km/h), les émissions de gaz et de bruit plus faibles.

***

En espérant, Monsieur le Président, que ces quelques remarques auront retenu votre attention, je vous prie d’agréer l’assurance de ma haute considération.

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